Les abeilles sont-elles des kamikazes ?

Les abeilles ne sont pas réputées pour leur agressivité. Elles peuvent cependant véhiculer l’image du sacrifice : piquer un humain les condamne inévitablement à la mort. Sont-elles pour autant des kamikazes ?

Pour répondre à cette question, intéressons-nous aux différences entre abeilles et guêpes. En effet, ces deux insectes appartiennent tous deux à l’ordre des hyménoptères, ils ont donc de nombreux traits communs. Pourtant, l’abeille, à l’inverse de sa cousine la guêpe, n’est pas un prédateur. Elle n’attaque pas pour se nourrir, mais pour se défendre en cas de danger uniquement, et notamment pour repousser les insectes voleurs de miel. Justement, un fait curieux et bien connu est que l’abeille peut mourir en attaquant, mais pas la guêpe, ce qui lui donne cette réputation de soldat prêt à se sacrifier. Mais pourquoi l’une risque sa vie et pas l’autre ?

C’est d’abord une différence anatomique du système vulnérant, qui est le système qui sert à blesser l’adversaire. L’abeille possède un dard avec des crans, alors que le dard de la guêpe est lisse. Ce dard, cranté, va donc rester coincé dans l’individu piqué. Il est si solidement harponné qu’en se dégageant, l’abeille va déchirer son abdomen, laissant sur place sa poche à venin, se condamnant ainsi à une mort quasi-certaine.

Dard d’abeille en gros plan. © Thierry BERROD

La piqûre est-elle toujours une condamnation à mort pour l’abeille ? Martin Giurfa, directeur du Centre de Recherche sur la Cognition Animale (CRCA), qui a publié de nombreux travaux de recherches sur les abeilles, nous répond :

« Cette perception est erronée et elle est due à notre perception anthropocentrique de leurs actions, c’est à dire qu’elles ne piqueraient – selon cette perception – que l’homme. Ceci est une erreur, elles ont beaucoup d’ennemis naturels, frelons, insectes variés, etc., qui s’attaquent aux ruches à cause du miel. Le dard ne reste dans la peau des êtres humains (et les abeilles en meurent) que de par les propriétés élastiques de notre peau qui retient le dard. Mais le dard entre et sort sans problème à travers la cuticule d’une guêpe ou autres ennemis ».

Globalement, peu d’abeilles meurent donc en piquant. D’ailleurs, si beaucoup d’abeilles mourraient par ce biais, alors peut-être des espèces à dard lisse seraient apparues par une sélection naturelle sur ce caractère. Ce n’est pas ce qu’on l’on observe aujourd’hui. Les abeilles sont en priorité préoccupées par les guerres entre insectes pour la ressource en miel, et le dard est l’arme de prédilection contre les pilleurs. Durant les querelles de ruches, en réalité, le dard ne reste pas bloqué lorsqu’une abeille en pique un autre hyménoptère. Par contre, c’est le cas quand l’animal attaqué est un mammifère comme l’homme, qui a une peau plus élastique qu’un insecte.

À ce propos, la prochaine fois que vous vous faites piquer par une abeille, pensez à ce blog, et aller chercher une loupe. Vous allez constater qu’étonnamment, même lorsque l’abeille est partie, les muscles de cette poche continuent à se contracter pour injecter du venin après la piqûre. De façon moins douloureuse, on peut voir la poche à venin bouger après une piqûre sur la vidéo ci-après :

Une autre astuce pour tester la piqûre en condition réelle : sachez que les abeilles possèdent une glande qui contient des phéromones d’alarme. Lorsqu’une gardienne libère ces phéromones, il règne alors une odeur de guerre dans l’atmosphère, et les autres soldats, alertés, vont venir en renfort. Si vous voulez tester simplement ces phéromones d’alarme, approchez-vous d’une ruche en amenant des bananes bien mûres : en effet, l’odeur de ces fruits ressemble fortement aux phéromones attendues par les gardiennes. Par contre, soyez prêt à fuir rapidement.

Sources :

Jürgen Tautz, L’étonnante abeille, 2009.

Agnès Fayet, Morphologie & anatomie de l’abeille, 2014, disponible en ligne : http://www.rucher-rocamadour.org/wp-content/uploads/2019/02/morphologie_et_anatomie_de-l_abeille.pdf

Mark L. Winston, The Biology of the Honey Bee, 1987.

Image bannière ©Pimthida via Flickr

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